Sainte-Julie – «La balle était haut dans les airs mais déjà Moe savait… Il disait: »oh, elle est bonne celle-ci, elle va aller dans le trou » et vlan, c'était le cas, trou d'un coup! Il avait deviné qu'il ferait un trou d'un coup alors que la balle était toujours en vol! C'était surhumain!»
On pourrait passer des heures en compagnie du pro Alain Trudeau à l'écouter raconter son parcours professionnel lui qui, à 54 ans, en a long à dire après avoir parcouru le monde et côtoyé quelques grands noms du golf dont le célèbre Moe Norman. Oui, des heures et des heures sans s'ennuyer une seule seconde.
Il nous a été donné, cet été, d'en passer une seule (heure) avec lui, question de faire une sorte de bilan de sa carrière mais aussi d'en savoir plus sur cette légende du golf canadien, Moe Norman, avec qui il a été proche. Ce fut l'un des sujets abordés, entre autres, lors de cette rencontre qui a eu lieu au club la Vallée du Richelieu où il fait partie de l'équipe de pros enseignants.
Le golfeur canadien Moe Norman était un phénomène et Alain Trudeau n'hésite pas à dire que ce fut un privilège pour lui d'avoir été un de ses proches.
«J'avais 19 ans quand je l'ai connu et lui, une cinquantaine d'années, rappelle-t-il. Il y avait de la magie dans ce gars-là. C'était carrément, à cause de son autisme, un talent extra-sensoriel. Personne ne frappait aussi bien que lui dans la zone d'impact. Et partout où j'allais avec lui, personne ne restait indifférent face à son talent.»
Il pourrait en dire davantage mais en y allant de quelques anecdotes, Alain Trudeau donne une idée de la reconnaissance envers ce golfeur que les vedettes du circuit lui vouaient.
«Je me souviens que lors d'un tournoi de la PGA, Moe et moi nous nous étions assis dans les estrades près du driving range. Vijay Singh a reconnu Moe et l'a invité à venir frapper des balles avec lui. Moe plaçait la balle exactement où Vijai lui demandait de la mettre, peu importe le bâton qu'il avait dans les mains. Finalement, la majorité des autres pros présents se sont approché pour être témoins du talent de Moe Norman.
«C'était incroyable de voir cet homme humble, avec une mémoire phénoménale, hypnotiser par son talent tous ceux et celles qu'ils côtoyaient. Ce gars-là travaillait dans un centre de quilles à Kitchener en Ontario pendant l'hiver pour gagner sa vie. Il a reçu deux fois, en janvier, une invitation pour jouer le Masters. Alors il montait dans un autobus au début d'avril, sans avoir touché à un bâton de golf depuis des mois, et se rendait à Augusta affronter les meilleurs au monde lors de l'un des plus importants tournois de la planète.»
Mike Weir
Pendant sa carrière de compétiteurs, Alain Trudeau a fait le circuit asiatique quelques années et a été très actif sur le circuit canadien. Il évoluait à ce moment-là avec Jean-Louis Lamarre, Rémi Bouchard et un certain Mike Weir dont la carrière l'a beaucoup impressionné.
«Il est tout un champion, dit-il tout de go à propos de Weir. Il a réussi un grand exploit, pas juste d'avoir gagné le Masters, mais de s'être retrouvé parmi les 6 ou 7 meilleurs joueurs au monde pendant quelques années.»
Alain Trudeau souligne alors que pour se rendre où Mike Weir est parvenu, le chemin est long et difficile.
«Sur le circuit en Asie, explique-t-il, c'est très difficile quand tu dois te promener de l'Inde à la Chine en passant par la Malaisie et la Corée du Sud. Il y a certes les décalages horaires, mais aussi les conditions de jeu totalement différentes d'une région à l'autre, les barrières de la langue, la fatigue du voyage, etc. Mike Weir est passé au travers et s'est retrouvé parmi les meilleurs au monde, lui qui est d'une précision exceptionnelle avec ses wedges.»
Laurent Desmarchais
Aujourd'hui, Alain Trudeau travaille l'hiver en Floride. Il est responsable des abonnements aux clubs The Fountains et Indian Spring. Il représente un atout pour ces clubs désireux de recruter de nouveaux membres francophones.
Donc pour lui, la compétition n'est plus vraiment au programme. Sauf qu'il est quand même bien placé pour poser un regard sur la pratique du golf actuel. Les nouvelles technologies appliquées au golf l'impressionnent, admet-il sans gêne.
«J'ai entendu récemment une pro française expliquer qu'elle s'efforce de jumper sur le sol pour une meilleure impulsion, quelque chose qu'on n'aurait jamais cru bon d'enseigner il y a même pas 20 ans, relate-t-il. La puissance est devenue l'élément clé. Frapper une balle au milieu de l'allée ne suffit plus, il faut qu'elle soit loin, très loin.»
Dans ce contexte nouveau, cette réalité nouvelle, verra-t-on un jour un Québécois sur la PGA, lui demande-t-on.
«Oui», répond-il sans la moindre hésitation lui qui est témoin à la Vallée du Richelieu de l'évolution du jeune Laurent Desmarchais.
«Je crois qu'il a tout ce qu'il faut pour atteindre les grands circuits, reprend Alain Trudeau. Aujourd'hui un espoir de ce genre devient une sorte de PME autour de laquelle plusieurs spécialistes gravitent. Il ne faut pas juste avoir du talent et de la puissance, mais aussi une bonne tête sur les épaules (ne pas être là juste pour le show, précise-t-il) et être bien entouré.
«Et si Laurent n'y arrive pas, continue-t-il, d'autres Québécois vont aussi émerger. Quand Laurent joue ici à la Vallée du Richelieu avec d'autres juniors, d'une certaine manière il force ces derniers à l'imiter et même à le surpasser. Donc oui, je crois qu'un jour il y aura un Québécois sur la PGA et une fois que l'un d'eux aura fait le saut, d'autres pourraient suivre.
«Il y a comme une sorte de peur, on dirait, qui semble nous habiter. Une peur que l'on n'a pas avec le hockey. Le golf nous confronte à nos peurs, nos traumatismes. Et ces peurs sont amplifiées en compétition. C'est la plus grande thérapie, tu ne peux pas te cacher avec le golf», termine-t-il sagement.
Bernard P.
Merci pour ce très intéressant article!
GML
Merci à vous.
jacques raymond
Quand Monsieur Trudeau parle de peurs, j’aimerais ajouter à la réflexion que , chez-nous au Québec, nous sommes encore atteints d’une PEUR chevillée au coeur de notre profil psychologique collectif inconscient. C’est cette peur fondamentale qui engendre les autres peurs. Elle touche particulièrement les athlètes d’élite qui font dans les sports individuels. Le golf et le tennis, par exemple. Cette grande peur on la retrouve chez les peuples vaincus et par conséquent colonisés. C’est extrêmement dommage puisque elle se transmet par éducation, de génération en génération depuis 250 ans. Au surplus, on déteste en entendre parler. Cela provoque un déni. Un jour, souhaitons-le, cette réalité sera collectivement admise. Nous serons sur le chemin d’une salutaire psychotérapie collective. Et nos grands talents sportifs seront décomplexés.