Pont-Rouge – Quand Étienne Aubé relate son histoire l'ayant conduit à faire de la compétition de golf, il vous propulse loin, très loin et pas mal plus loin qu'un coup de départ bien frappé avec un bois un. Il vous transporte à des milliers de kilomètres du parcours Grand Portneuf, où nous le rencontrons, soit dans un petit village non loin de Kandahar, là où sa vie a basculé il y a 8 ans.
«À 28 ans, lance-t-il promptement, ma vie a fait un demi-tour complet, un virage à 180 degrés. Tout ce que j'avais de planifié, tout ce à quoi je m'attendais pour le futur, venait de disparaître en même temps que mes jambes lorsque j'ai marché sur des explosifs.»
Le sergent Étienne Aubé a accepté l'entrevue pour promouvoir l'organisme Soldat sans limite, organisme qui vient en aide aux militaires ayant subi des traumatismes physiques et/ou mentaux, en les faisant progresser dans une discipline sportive. Le sujet nous intéressait car selon Ian Carpentier, militaire retraité et bon golfeur qui nous en avait jeté quelques mots, le golf serait le sport le plus prisé auprès de ceux et celles soutenus par Soldat sans limite.
Mais au-delà du fait de rappeler que le golf peut parfois être une activité thérapeutique, il y a l'histoire de cet homme à raconter. Une histoire à la fois dramatique et héroïque. Ce n'est pas tous les jours que l'on entend ce genre de récit alors aussi bien s'y mettre…
Dans une cabane de boue
L'entrevue débute donc et, devant nous, se dresse un gaillard à qui rien ne semble faire peur. Surtout pas raconter ce qui lui est arrivé et c'est sans attendre les questions qu'Étienne Aubé débute la narration de ce jour fatidique du 16 juillet 2009. Il enchaîne d'un ton décidé et de manière très précise. Au point où il vous plonge vite dans son passé, comme s'il vous prenait par la main et vous amenait avec lui dans cette bizarre de cabane faite de boue, s'élevant au milieu d'un hameau tout près de Kandahar en Afghanisthan.
«Quelques jours auparavant, précise-t-il d'abord, nous avions planifié une vaste opération visant à s'assurer que les élections programmées plus tard, se déroulent sans incidents. Il fallait donc se rendre dans différents endroits où l'on soupçonnait les Talibans de se terrer pour justement passer à l'action le jour des élections. L'opération avait été planifiée avec d'autres armées, dont l'armée afghane. Elle a toutefois été retardée de 40 heures en raison des conditions météorologiques. À cause de cela, croyons-nous, l'info a été coulée… on nous attendait dans les villages.»
Quand il avançait dans les rues avec son équipe du 5e Régiment d'ingénierie de combat, le sergent Aubé était méfiant; partout il discernait des traces, des indices comme quoi l'ennemi venait à peine de quitter les lieux et devait se cacher quelque part, non loin. Tout lui indiquait que les lieux devaient être piégés. C'est pourquoi il a pris la décision d'entrer seul dans la fameuse cabane de boue.
«Je n'ai fait que quelques pas avant de marcher sur un déclencheur. Il y avait deux obus sous moi, un seul a sauté sinon je ne serais pas ici à vous raconter cela. L'endroit était rempli d'explosifs. Si l'on était tous entrés, on y aurait tous passé», dit-il sans sourciller, sans la moindre hésitation alors que l'on sent, quelque part, que parler de ce moment qui a changé sa vie le secoue encore.
Mais il camoufle le tout et poursuit: «Sous la force de l'explosion, j'ai volé au plafond, j'ai entendu mon cou craquer. Puis je suis retombé dans le gouffre de l'explosion. J'avais le bas du corps en feu. Ma jambe gauche était tout déchiquetée et je voyais mon pied droit planté dans le plafond.»
La bombe explose aussi au Québec
Ses hommes l'ont secouru dans les minutes suivantes. Ceux-ci étaient toutefois bouleversés de voir leur sergent aussi amoché. Et il a fallu, pendant qu'on le secourait, que des tirs ennemis retentissent.
«Couché au sol, je donnais les ordres, raconte-t-il. Et cela, m'a-t-on expliqué plus tard, a permis de réduire chez moi le choc post-traumatisme. Une sorte d'exutoire.»
Oui, peut-être, mais cet événement a eu beaucoup de répercussion sur lui, on s'en doute. Et comme il le dit, la bombe a aussi explosé au Québec…
«Aujourd'hui, c'est bien, précise-t-il, on m'a soigné, il me manque deux doigts, mais on a finalement sauvé ma jambe gauche et j'ai une bonne prothèse pour ma droite. Mais il y a vraiment eu des moments difficiles à la suite de tout cela. J'ai eu de longues journées sombres, cela n'a pas été facile pour personne…»
La famille a effectivement eu à subir les conséquences de cette épreuve et Étienne Aubé en est bien conscient. Aujourd'hui, il ne peut qu'être reconnaissant envers ses proches de l'avoir soutenu et d'être toujours là pour profiter de la vie en compagnie de sa conjointe et ses deux enfants.
Réhabilitation par le golf
Il y a donc eu les thérapies et les longues périodes de réhabilitation pour réapprendre à marcher. C'est à ce moment que Soldat sans limite est apparu dans le décor.
«J'avais joué un peu au golf avant d'enter dans l'armée, précise Étienne Aubé. J'aimais cela et je me disais toujours qu'un de ces jours, j'aimerais bien aller plus loin avec ce sport. En réhabilitation, dans ma condition, le golf a été la meilleure discipline. Les longues marches, sur des terrains parfois accidentés, représentaient quelque chose de parfait pour moi. Et, petit à petit, j'ai eu la piqûre!»
Au point où il joue au moins cinq fois par semaine, maintenant, en plus de faire de la compétition. D'ailleurs, cette semaine il participe aux Jeux Invectus se tenant à Toronto.
Sept X tatoués
Sur son bras droit, tout cet épisode mouvementé y est représenté par un immense tatouage: des fleurs pour les enfants et la famille qui ont souffert avec lui, d'autres symboles judicieusement choisis y sont également étalés, dont même l'obus qui a explosé sous lui. Mais il y a aussi sept X particuliers, bien en évidence autour de son poignet.
«J'adore le golf et, à chaque fois, je tente de jouer la meilleure partie de ma vie, de remporter les petits matchs entre partenaires, explique-t-il. Mais parfois, vous savez comment c'est, le golf? On n'arrive pas à bien jouer, ça va mal et on ne sait pas trop pourquoi… Alors ces jours-là, je cesse de compter mon score et je regarde les sept X tatoués autour de mon poignet. C'est en mémoire de sept amis, sept compagnons de combat qui ne sont plus là. Moi, j'ai la chance d'être toujours là, alors ce n'est pas une partie de golf qui va gâcher cela!»
Quand on l'entend parler ainsi, quand on l'entend s'exprimer avec autant d'aisance au sujet de la tragédie qu'il a vécue, on n'est nullement surpris de savoir qu'il lui arrive de donner des conférences.
«Ce n'est pas toujours facile de raconter mon histoire devant des inconnus mais, en même temps, cela m'aide aussi. Et si je peux aider d'autres personnes, tant mieux!»
En terminant, Étienne Aubé est actuellement inscrit à l'université. Pourquoi faire des études à 37 ans?, lui demande-t-on. «Je veux faire du bénévolat! En toxicologie, en aide psychologique ou autre. C'est ma façon à moi d'être heureux, maintenant», répond-il, les yeux brillants.